Le mystère d’Avignon résolu : « en Avignon » et « à Avignon », vous pouvez dire les deux sans dire la même chose.

par Paul-Roger GONTARD


Avignon est une ville singulière à plus d’un titre, elle porte cette originalité jusque dans la façon dont on parle d’elle, par une nuance, par une rareté :

A la fin de cet article vous pourrez dire « en Avignon » et « à Avignon » au bon moment, en expliquant pourquoi à vos amis.

La distinction de préposition entre « en » et « à » sonne comme une introduction, comme une présentation des origines de notre ville, de sa longue histoire, de la langue et du pays.

 

Héritage du latin et des papes : in Avenione

L’origine de la polémique est à trouver dans la langue latine.

Depuis l’arrivée des légions romaines dans la ville en 121 av. JC, jusqu’aux actes légaux rédigés par les Papes lorsqu’ils possédaient Avignon, la formule d’usage en latin est in Avenione.

Le préfixe In est utilisé ici comme dans la locution “in urbe” — « dans la ville » —, le latin dit ici l’intériorité de la formule : on est à l’intérieur d’une enceinte urbaine. Avignon, ceinte de murailles, se prêtait parfaitement à cette logique. La langue française en a hérité directement.

 L’ancien français : « en Paris, en Avignon »

Jusqu’au XVIIᵉ siècle, il était courant de dire « en Paris », « en Rouen » ou « en Avignon ». Le grammairien Alfred Haase le rappelle dans son livre qui fait référence sur la Syntaxe française de cette période : « Comme en ancien français, en se construit souvent avec les noms de villes ». L’auteur cite à l’appui comme exemple en Jérusalem, en Avignon, en Alger, en Alexandrie. » (p. 357, consultable sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k29568j/f375.item )

Autrement dit, « en Avignon » n’était pas une exception : c’était un usage tout à fait habituel du français classique.

Alors, contrairement à ce que certain ont cru trouver, pas d’explication à chercher du côté d’une traverser de frontière, de l’entrée dans un autre pays puisque Avignon n’était pas encore français.

Ce d’autant que la règle moderne — « en + pays » — est en fait une fixation tardive. Autrefois, la langue française oscillait plus librement.

La Fontaine et Pascal écrivait par exemple « à la Chine », « à l’Amérique ». (p. 330, consultable sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k29568j/f348.item )

La frontière que nous connaissons aujourd’hui entre « à » et « en » est donc récente. 

En Provençal : « n’en Avignoun »

L’explication ne tient pas seulement au français. Elle s’enracine aussi dans la « lengo nostro », la langue provençale. Dans son monumental Trésor du Félibrige (1878-1886), Frédéric Mistral enregistre l’usage courant de « en » devant les noms de lieux, et cite explicitement « en Avignoun ».

Encore plus frappant : le parlé rodonannien, nuance de la langue provençale qui s’exprimait chez nous, emploie la forme « n’en » plutôt que « en », comme par exemple « n’en Avignoun », qui accentue la valeur d’intériorité — dedans la ville. Cette intensité locale a sans doute conforté la persistance de la tournure française « en Avignon ».

Alors, « En Avignon » ou « à Avignon » ?

Aujourd’hui, l’usage standard privilégie est donné à la formule « à Avignon ». Cette préposition, plus neutre, désigne l’ensemble de la ville, sans distinguer l’intérieur ou l’extérieur des remparts.

Mais dire « en Avignon », c’est faire résonner trois héritages à la fois : le latin des Papes (in Avenione), l’ancien français (en Paris, en Avignon) et le provençal (en Avignoun, voire n’en Avignoun).

C’est aussi rappeler une nuance : « en Avignon » renvoie au cœur historique, à l’intramuros, tandis que « à Avignon » embrasse l’ensemble de la ville.

Ainsi, jusque dans une préposition, Avignon garde ses singularités : visibles dans la pierre, audibles dans la langue.

Lorsqu’on aime Avignon, on dit donc les deux, et on sait pourquoi !

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