Juliana Morell, le génie en robe noire – une enfant d’Avignon, prodige oublié du savoir féminin

Parce qu’Avignon est aussi la ville des lumières précoces, des esprits indociles et des destins universels, Juliana Morell (ou Julienne Morelle) mérite de retrouver sa place dans notre mémoire civique.

Avant d’être une figure féminine de l’histoire, elle fut une épatante pionnière pour son époque : une jeune fille qui pensait la philosophie, qui discourait en latin, et qui publiait ses recherches — dans une société où traditionnellement les femmes en étaient exclues.

Née en 1594 à Barcelone, c’est très vite à Avignon qu’elle grandit, étudie, enseigne, pense, et qu’elle marqua l’histoire.

Une ville qui, au tournant du XVIIe siècle, offrait encore à certains esprits une enclave d’émancipation par le savoir.

Un exil fondateur : Avignon, refuge et matrice intellectuelle

Fuyant l’Inquisition espagnole, son père, juriste éclairé, trouve refuge à Lyon puis à Avignon.

La ville, alors possession pontificale, est un carrefour intellectuel et religieux entre l’Italie, la France et la péninsule ibérique. Elle accueille alors de nombreux réfugiés, imprimeurs, savants et penseurs, dans une effervescence intellectuelle qui prolonge les Lumières médiévales.

À douze ans, elle maîtrise le latin, le grec, l’hébreu, les mathématiques et la philosophie morale. En 1606, elle participe déjà à une disputatio en latin, un débat universitaire publique organisé à Lyon sur des questions juridiques, philosophique et théologiques, devant un auditoire composé de savants et de docteurs.

En 1608, Juliana Morell soutient publiquement une thèse en droit devant un auditoire distingué (dont la princesse de Condé) au palais papal du vice-légat à Avignon. Cet événement, est souvent cité comme la première soutenance de thèse par une femme.

La biographie de Juliana Morell, écrite par sa compagne de couvent Marie-Léone de Merles de Beauchamps et publiée en 1617, décrit cet événement comme un moment unique, sans équivalent à l’époque.

Ce moment exceptionnel fera dire à plusieurs historiens qu’elle est la première femme docteure en droit du monde.

Même si aucun diplôme formel ne lui est décerné, sa reconnaissance publique par la communauté savante d’Avignon est un fait unique pour l’époque.

Un génie qui doit composer avec son temps

Le brillant esprit de Juliana aurait du lui permettre de poursuivre une carrière de juriste ou de professeure d’université, mais les temps d’alors étaient étroits. Elle entra donc au couvent dominicain de Sainte-Praxède, au cœur d’Avignon, où elle vivra jusqu’à sa mort, mais où elle pu poursuivre ses travaux.

En effet, son retrait dans une vie religieuse n’est pas un renoncement. Elle continue à écrire, à traduire, à enseigner dans l’enceinte du couvent. Elle y devient prieure, puis réformatrice, tout en maintenant une correspondance avec les érudits de son temps.

Une figure féminine universelle née dans les murs d’Avignon

Juliana Morell incarne la capacité d’Avignon à faire naître, parfois dans la marge, des figures universelles.

Elle est l’héritière du climat humaniste d’une ville universitaire, et la preuve vivante que le savoir peut franchir les murs sociaux, genrés et religieux, lorsqu’il est servi par la détermination.

Dans un monde encore traversé par les inégalités d’accès à l’instruction, dans une République qui veut tenir sa promesse émancipatrice, Juliana Morell nous rappelle que l’intelligence n’a ni préjugé, ni statut, ni frontière.

Elle fut, à sa manière, une pionnière du combat pour le savoir ouvert à toutes et à tous.

Et Avignon, en l’accueillant, en la laissant s’exprimer, fut aussi à la hauteur de ce qu’elle prétend être : une ville de culture, de liberté, et d’universalité.

Julienne Morell, Traicte de la vie spirituelle par St Vincent Ferrier […], Lió, Jullieron, 1617 (1a ed.). Avignon Bibliothèques (Ville d’Avignon), 8º18827


📚 Pour aller plus loin :

  • Naissance : 1594, Barcelone – Décès : 1653, Avignon

  • Lieu de vie : Couvent Sainte-Praxède, centre-ville d’Avignon

  • Conférence de l’Université de Barcelone

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Alphonse Gent, un éclaireur de la République, serviteur d’Avignon